SCUM Manifesto - Valérie Solanas - Cinquième partie
ANIMALITÉ (domesticité et maternité) ET SUPPRESSION DE
L'INDIVIDUALITÉ
L'homme est une suite de réflexes conditionnés, il est incapable de
réagir librement, avec son esprit. Il est entièrement déterminé par le
conditionnement subi pendant son enfance. Ses premières expériences
ont été vécues avec sa mère et il est lié à elle pour la vie.
Pour l'homme il n'est jamais très clair qu'il puisse être autre chose
qu'une partie de sa mère, qu'il est lui et qu'elle est elle.
Son plus grand besoin est d'être guidé, abrité, protégé et admiré
par sa Mamma (les hommes s'attendent à ce que les femmes adorent
ce qui, eux, les pétrifie d'horreur : eux-mêmes). N'existant que
par son corps, l'homme aspire à passer son temps (celui qu'il ne
perd pas « dans le monde » à se défendre âprement contre sa passivité)
dans une béatitude animale consistant à manger, dormir,
chier, s'écrouler dans un fauteuil et se faire dorloter par la Mamma.
La Fille à son Papa, passive et abrutie, avide d'approbation et de
petites tapes sur la joue, qui manifeste son respect au moindre tas
d'immondices passant par là, se laisse facilement transformer en
Mamma. Elle prête machinalement son corps, éponge le front simiesque
plissé par l'effort, pousse au cul le petit ego défaillant,
complimente la crapule. Elle n'est plus qu'une bouillotte avec des
nichons. Réduites à l'état de bêtes, les femmes du secteur le plus
arriéré de la société, les classes moyennes « privilégiées » et « instruites
», déchet de l'humanité sur lequel Papa règne en maître, essaient
de se défoncer en mettant bas, et dans la nation la plus
avancée du monde, en plein xxe siècle, elles se ventrouillent avec
des enfants pendus à leurs seins. Oh, ce n'est pas pour le bien des
enfants que les « spécialistes » racontent aux femmes que la Mamma
doit rester à la maison pour croupir comme une bête. C'est pour
le bien de Papa, naturellement. C'est Papa qui a besoin de se
cramponner à des nichons. C'est Papa qui se pique d'obstétrique et
se défonce ainsi par procuration (ce mort-vivant a besoin de stimulants
vigoureux).
La nécessité de faire de la femme une bête, une Mamma, un mâle,
est autant psychologique que pratique. Le mâle n'est qu'un échantillon
de l'espèce, interchangeable avec tous les autres mâles. Il n'a
pas d'individualité profonde (ne sait pas différencier les êtres, ne
connaît pas l'autosuffisance mentale, la complétude), car l'individualité
ne peut naître que de ce qui éveille la curiosité, vous fait sortir
de vous-même, ce avec quoi on entre en relation. Complètement
absorbés en eux-mêmes, ne sachant communiquer qu'avec leur
propre corps et leurs sensations physiques, les hommes ne se différencient
entre eux que par la façon dont ils se défendent contre leur
passivité et leur désir d'être femme, et par le degré d'acharnement
qu'ils y mettent.
L'individualité de la femme s'impose aux yeux de l'homme, mais il
est incapable de la saisir, incapable d'entrer en relation avec elle ;
elle le bouleverse, l'emplit d'effroi et d'envie. Aussi la nie-t-il et entreprend-
il de définir chacun et chacune en termes de fonction et
d'usage, s'assignant bien entendu, les fonctions les plus importantes
– docteur, président, savant – ce qui l'aide à revêtir une identité
sinon à atteindre à l'individualité, et il cherche à se convaincre
comme à convaincre les femmes (il a mieux réussi de ce côté) que
la fonction de la femme est de porter et d'élever les enfants, d'apaiser,
de réconforter et de stimuler l'ego masculin ; que sa fonction
fait d'elle un être interchangeable avec les autres femmes.
En fait, la fonction de la femme est d'explorer, découvrir, inventer,
résoudre des problèmes, dire des joyeusetés, faire de la musique –
le tout, avec amour. En d'autres termes de créer un monde magi-
que.
La fonction de l'homme est de produire du sperme. Nous avons
maintenant des banques de sperme.
LE VOL DE L'INTIMITÉ
L'homme, qui a honte de ce qu'il est et d'à peu près tout ce qu'il fait,
tient beaucoup à garder secrets tous les aspects de sa vie mais n'a
aucun respect pour la vie privée des autres. Lui qui est vide, qui n'a
pas de réalité propre, pas d'individualité, pas d'états d'âme jouissifs,
a constamment besoin de la compagnie des femmes et ne voit absolument
rien de mal à s'immiscer dans les pensées d'une inconnue,
n'importe où n'importe quand ; et par-dessus le marché il s'indigne
et se sent insulté lorsqu'il se fait rembarrer ; il en est tout désorienté
: cela le dépasse complètement que quelqu'un puisse préférer
une seule minute de solitude à la compagnie de n'importe quel
taré. Comme il voudrait en être, il se démène pour être toujours
dans les pattes des femmes, ce qui est le plus près qu'il puisse atteindre
de son but, et s'ingénie à fabriquer une société fondée sur la
famille – le couple et les enfants (qui sont la bonne excuse de la famille)
– et tout ce monde est censé vivre les uns sur les autres en
violant scrupuleusement les droits de la femme et son intimité, en
détériorant sa santé mentale.
ANIMALITÉ (domesticité et maternité) ET SUPPRESSION DE
L'INDIVIDUALITÉ
L'homme est une suite de réflexes conditionnés, il est incapable de
réagir librement, avec son esprit. Il est entièrement déterminé par le
conditionnement subi pendant son enfance. Ses premières expériences
ont été vécues avec sa mère et il est lié à elle pour la vie.
Pour l'homme il n'est jamais très clair qu'il puisse être autre chose
qu'une partie de sa mère, qu'il est lui et qu'elle est elle.
Son plus grand besoin est d'être guidé, abrité, protégé et admiré
par sa Mamma (les hommes s'attendent à ce que les femmes adorent
ce qui, eux, les pétrifie d'horreur : eux-mêmes). N'existant que
par son corps, l'homme aspire à passer son temps (celui qu'il ne
perd pas « dans le monde » à se défendre âprement contre sa passivité)
dans une béatitude animale consistant à manger, dormir,
chier, s'écrouler dans un fauteuil et se faire dorloter par la Mamma.
La Fille à son Papa, passive et abrutie, avide d'approbation et de
petites tapes sur la joue, qui manifeste son respect au moindre tas
d'immondices passant par là, se laisse facilement transformer en
Mamma. Elle prête machinalement son corps, éponge le front simiesque
plissé par l'effort, pousse au cul le petit ego défaillant,
complimente la crapule. Elle n'est plus qu'une bouillotte avec des
nichons. Réduites à l'état de bêtes, les femmes du secteur le plus
arriéré de la société, les classes moyennes « privilégiées » et « instruites
», déchet de l'humanité sur lequel Papa règne en maître, essaient
de se défoncer en mettant bas, et dans la nation la plus
avancée du monde, en plein xxe siècle, elles se ventrouillent avec
des enfants pendus à leurs seins. Oh, ce n'est pas pour le bien des
enfants que les « spécialistes » racontent aux femmes que la Mamma
doit rester à la maison pour croupir comme une bête. C'est pour
le bien de Papa, naturellement. C'est Papa qui a besoin de se
cramponner à des nichons. C'est Papa qui se pique d'obstétrique et
se défonce ainsi par procuration (ce mort-vivant a besoin de stimulants
vigoureux).
La nécessité de faire de la femme une bête, une Mamma, un mâle,
est autant psychologique que pratique. Le mâle n'est qu'un échantillon
de l'espèce, interchangeable avec tous les autres mâles. Il n'a
pas d'individualité profonde (ne sait pas différencier les êtres, ne
connaît pas l'autosuffisance mentale, la complétude), car l'individualité
ne peut naître que de ce qui éveille la curiosité, vous fait sortir
de vous-même, ce avec quoi on entre en relation. Complètement
absorbés en eux-mêmes, ne sachant communiquer qu'avec leur
propre corps et leurs sensations physiques, les hommes ne se différencient
entre eux que par la façon dont ils se défendent contre leur
passivité et leur désir d'être femme, et par le degré d'acharnement
qu'ils y mettent.
L'individualité de la femme s'impose aux yeux de l'homme, mais il
est incapable de la saisir, incapable d'entrer en relation avec elle ;
elle le bouleverse, l'emplit d'effroi et d'envie. Aussi la nie-t-il et entreprend-
il de définir chacun et chacune en termes de fonction et
d'usage, s'assignant bien entendu, les fonctions les plus importantes
– docteur, président, savant – ce qui l'aide à revêtir une identité
sinon à atteindre à l'individualité, et il cherche à se convaincre
comme à convaincre les femmes (il a mieux réussi de ce côté) que
la fonction de la femme est de porter et d'élever les enfants, d'apaiser,
de réconforter et de stimuler l'ego masculin ; que sa fonction
fait d'elle un être interchangeable avec les autres femmes.
En fait, la fonction de la femme est d'explorer, découvrir, inventer,
résoudre des problèmes, dire des joyeusetés, faire de la musique –
le tout, avec amour. En d'autres termes de créer un monde magi-
que.
La fonction de l'homme est de produire du sperme. Nous avons
maintenant des banques de sperme.
LE VOL DE L'INTIMITÉ
L'homme, qui a honte de ce qu'il est et d'à peu près tout ce qu'il fait,
tient beaucoup à garder secrets tous les aspects de sa vie mais n'a
aucun respect pour la vie privée des autres. Lui qui est vide, qui n'a
pas de réalité propre, pas d'individualité, pas d'états d'âme jouissifs,
a constamment besoin de la compagnie des femmes et ne voit absolument
rien de mal à s'immiscer dans les pensées d'une inconnue,
n'importe où n'importe quand ; et par-dessus le marché il s'indigne
et se sent insulté lorsqu'il se fait rembarrer ; il en est tout désorienté
: cela le dépasse complètement que quelqu'un puisse préférer
une seule minute de solitude à la compagnie de n'importe quel
taré. Comme il voudrait en être, il se démène pour être toujours
dans les pattes des femmes, ce qui est le plus près qu'il puisse atteindre
de son but, et s'ingénie à fabriquer une société fondée sur la
famille – le couple et les enfants (qui sont la bonne excuse de la famille)
– et tout ce monde est censé vivre les uns sur les autres en
violant scrupuleusement les droits de la femme et son intimité, en
détériorant sa santé mentale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire